J’avais l’habitude de mentir sur son âge. Pas à lui – il a toujours su que je détestais ça – mais à mes amis, mes camarades de classe, et même à mes professeurs. « Oui, mon père a la cinquantaine », disais-je, en rognant une décennie comme si de rien n’était. La vérité ? Il avait 68 ans à ma naissance.
En grandissant, j’avais l’impression qu’il était plus grand-père que père. Événements scolaires, fêtes d’anniversaire… il arrivait avec ses mocassins marron et ces chemises à carreaux qu’il ne rentrait jamais correctement dans son pantalon, l’air perdu et lent. Les enfants chuchotaient. Un jour, un garçon m’a demandé s’il était mon arrière-grand-père. J’en ai ri, mais j’étais mortifiée.
On se disputait beaucoup au lycée. Je lui ai dit un jour que j’aurais préféré qu’il ne m’ait jamais eue. Qu’il était égoïste d’avoir mis au monde un enfant alors qu’il serait trop vieux pour être là pour toutes les « choses importantes ». Il n’a rien dit, il est resté assis sur sa chaise, l’air vide, presque triste. Je pensais avoir gagné.
Et puis le jour de la remise des diplômes est arrivé.
Tout le monde prenait des selfies avec ses parents. Ballons, pancartes, cris. Et lui était là, debout sur le côté, tenant cette affiche froissée sur laquelle était écrit : « SI FIÈRE DE TOI, MA FILLE. »
Il avait l’air si petit dans la foule.
J’ai presque fait semblant de ne pas le voir. Mon amie Salomé m’a arrêtée pour prendre des photos, et je l’ai surpris en train de s’essuyer les yeux, pensant que personne ne le regardait.
Il m’a tendu une carte quand je me suis enfin approché. Il m’a dit : « Ouvre-la plus tard. Je sais que je n’étais pas parfait. »
J’aurais dû le serrer dans mes bras. J’aurais dû dire quelque chose.
Mais quand j’ai ouvert la carte ce soir-là…
…ça m’a frappé en pleine poitrine.
À l’intérieur se trouvait une photo de lui en blouse d’hôpital, debout à côté d’une infirmière. J’ai failli ne pas le reconnaître ; il paraissait plus maigre. Plus faible. Le mot en dessous disait :